Les protestants peuvent contribuer à la paix sociale

Une réponse à Marc de Bonnechose.

Au tout début de la belle pièce « Anatevka » (où l’on trouve le chant « if I were a rich man »), le narrateur présente la Tradition en nous montrant deux hommes :

« Le grand-père de celui-ci a vendu au grand-père de celui-là un cheval, mais il lui a livré un mulet. » On voit alors les petits-fils se disputer au sujet de ce commerce litigieux, et finalement s’adresser au rabbin.

Le premier expose sa vision des choses, le rabbin l’écoute, réfléchit longtemps et déclare solennellement : « Mon fils, tu as raison. »

Le deuxième expose sa vision des choses, le rabbin l’écoute, réfléchit longtemps et déclare solennellement : « Mon fils, tu as raison. »

Alors le disciple du rabbin intervient : « Maître, tu donnes raison à l’un, et tu donnes raison à l’autre. Pourtant, ils ne peuvent pas avoir raison tous les deux ! » Le rabbin écoute, réfléchit encore plus longtemps et déclare solennellement : « Mon fils, toi aussi, tu as raison. »

Cela nous apprend trois choses :

  1. Il y a toujours plusieurs perspectives sur un même événement ou un même objet.
  2. Selon les perspectives, on en vient à des conclusions potentiellement contradictoires mais qui, en fonction de la perspective, peuvent toutes être vraies tout en se contredisant.
  3. Il faut laisser le passé au passé.

Pourquoi raconte-je cette scène en introduction à ma réponse à l’article Les protestants peuvent contribuer à la paix sociale de Marc de Bonnechose que je salue bien fraternellement ? Vous verrez.

Lire la suite « Les protestants peuvent contribuer à la paix sociale »

claqué pour le Royaume ?

Vous l’avez certainement entendu, l’info a dû passer non seulement sur internet mais aussi dans les médias classiques puisque des paroissiennes non connectées m’ont parlé de ça : pendant la cérémonie de baptême, un prêtre a giflé l’enfant.

J’ai visionné la vidéo qui circule, et que vous trouverez facilement par votre moteur de recherche préféré. Evidemment, le loup a tapé de la patte sur la table : « inadmissible ! Comment peut-il oser ?! »

Le corbeau, lui, a penché la tête, cligné des yeux et demandé de revoir la vidéo. C’est ce qu’il a fait, plus d’une fois. Et puis, il résume :

« Je vois un enfant en panique. Un enfant qui hurle et crie sa panique. Qu’est-ce qu’il fait là, qu’est-ce qu’on va lui faire là, il ne sait pas où il est ni pourquoi ni ce qui l’attend. Il a peur, il est en état de choc. Et il crie, hurle, clame. Et, malheur, la panique est un phénomène autostimulant : plus on crie et hurle, plus la panique s’agrandit – s’il n’y a pas une personne autre qui intervient pour rompre ce cercle vicieux.

Pour un bébé, les personnes susceptibles à intervenir, ce sont les parents. Or là, je n’en vois pas, que ce soit dit en toute franchise. Je vois des adultes qui tiennent ce bébé hurlant à bras tendus, le plus loin d’eux-mêmes dirait-on, et qui restent muets. Muets de la voix et de la bouche, muets aussi de toute expression d’amour, de tout geste qui pourrait rassurer l’enfant en panique, l’enfant qui craint pour sa vie. Je ne vois pas de mère, pas de père. Le roi Salomon serait tenté de juger que cet enfant mériterait une mère qui se soucie de lui, ne fût-elle pas sa matrice.

Je devine plus que je vois, d’autres adultes. Quelques paroissiens. Des membres de la famille du bébé, des tantes et oncles, grands-parents, peut-être des arrière-grands-parents. Ils observent. D’eux, l’enfant ne peut pas espérer plus de soutien que de ceux qui le tiennent du bout des doigts.

Et je vois un prêtre. Il est vieux. Ses camarades de classe, s’ils sont encore de ce monde, sont arrière-grands-parents, et il le serait probablement aussi s’il n’avait pas été séminariste. Ses camarades de classe sont retraités depuis un quart de siècle et ne font que ce qui leur plaît, et lui, il rend toujours service à l’Église. En assurant des messes, en donnant les sacrements quand il faut. Et il voit devant lui cet enfant, il sent la panique, la peur de mort. Lui, c’est le seul à vouloir entrer en contact avec cet enfant. Tout en tentant de continuer la sainte liturgie dont il est le serviteur, il essaie d’attirer l’attention de l’enfant pour le faire sortir de son cercle de panique proférant des cris de de cris stimulant la panique.

Ils sont deux à être seuls. Là l’enfant, jeté dans une situation que personne n’a jugé utile de lui expliquer. Ci le vieillard qui sent que de lui seul dépend l’issue de la situation. Peut-être se souvient-il, et sans en être conscient, que pour rompre ce cercle vicieux de la panique, il faut user de la surprise. Un seau d’eau fraîche déversé sur la personne paniquante la surprend tellement que les cris arrêtent, qu’on peut à nouveau atteindre son âme et la calmer. Les nageurs-sauveteurs savent (sans trop le crier sur les toits, pour des raisons qu’on imagine) que parfois pour pouvoir sauver une personne en panique, il faut lui donner une paire de claques, de celles qui font mal, pour briser la coque mortifère de panique qui les entoure. Ou encore leur passer la tête sous l’eau pour quelques secondes, mais là il faut vraiment savoir ce qu’on fait…

Et c’est là que, du bout des doigts, il donne une tape sur la joue de l’enfant.

C’était raté, c’est sûr. D’une parce que… quand les nageurs-sauveteurs le font, c’est dans l’eau, sous les vagues, loin de la plage et loin de tout téléphone portable susceptible de filmer la scène. De deux parce que c’était tellement tendre, tellement doux comme tape que ça n’a pas pu faire effet sur l’enfant. »

Voilà ce que dit le corbeau. Et il ajoute que dans cette histoire, il n’y a, à son avis, que des victimes.

D’accord, dit le loup, mais que faire ?

Ben, rien, répond le corbeau. Ce n’est pas de notre ressort. Mais nous pourrions dire à ceux qui veulent bien l’entendre que le baptême, ça se prépare. On prépare avec les parents ce qui va se passer, ce qui est leur rôle dans la liturgie – et bien sûr, que c’est un engagement pour toute leur vie de parents ! – et de préférence on le prépare même avec l’enfant. Les enfants ne sont pas bêtes, ils comprennent plein de choses même s’ils ne peuvent pas encore le verbaliser. Donc en tant que baptiseur tu te présentes à l’enfant quand tu rencontres les parents. Ainsi, il te connaîtra, reconnaîtra dans l’église ou dans le temple. Et tu lui expliques ce qui va se passer, tu lui diras que rien de mal ne lui arrivera mais qu’il y aura plein de gens qui se réjouiront de sa présence. Et que sa maman et son papa l’accompagnent.

Et si pendant la liturgie du baptême l’enfant commence à pleurer, tu fais une pause. Si la maman ne vient pas d’elle-même à l’idée de le calmer tu lui diras, calmement. Il n’y a pas de raison que le baptême terrorise qui que ce soit. Si tous les participants font ce qui est de leur pouvoir pour que l’enfant s’y sente bien, tout ira bien.

Le téléphone du dimanche

Le dimanche, en rentrant du culte, j’écoute souvent la radio. Mon poste dans la voiture est réglé sur RCF, la radio chrétienne en France.

Et le dimanche midi, c’est « le téléphone du dimanche ».

Qu’est-ce que c’est ?

Vous savez, en France il y a beaucoup de personnes en prison. Bien plus de personnes que de lits d’ailleurs, et je me demande comment la patrie des Droits de l’Homme arrive à justifier cela devant elle-même et sa conscience nationale. Mais ce n’est pas de ça que je veux vous parler.

Beaucoup de prisonniers sont incarcérés loin de leurs familles. On se demande pourquoi d’ailleurs, il me semble qu’il n’y a aucune loi qui impose l’incarcération loin de la famille – n’est-ce pas plutôt le contraire ? Ils n’ont guère droit à téléphoner, puisque le téléphone ne peut pas être efficacement censuré… contrairement aux lettres qui n’arrivent aux détenus qu’après vérification minutieuse, et dans le sens inverse également. Or, bien souvent les familles « ne sont pas très lettre ». Ce ne sont pas les Bac+5 qui peuplent les cellules, vous savez. Alors que ce n’est ni une tare ni un crime de ne pas avoir fait d’études supérieures, et que ce sont très probablement des gens qui n’ont pas moins que les professeurs le désir de faire au mieux avec leurs enfants, au travail, en couple, avec les voisins.

Votre mari, votre papa si vous êtes enfant, est donc en prison. Et loin. Vous ne pouvez pas y aller lui rendre visite, faute de temps, faute de voiture, faute d’argent. Ce ne sont pas non plus les riches qui vont en prison, en règle général. Donc, votre papa et chéri est seul. Vachement seul. Seul dans un système qui ne cherche pas à édifier l’humain, c’est plutôt le contraire. Vous ne pouvez pas lui téléphoner. Vous ne savez pas si les lettres, les dessins que vous lui envoyez, vont lui arriver.

Que faire alors ? Appeler RCF, le téléphone du dimanche. Là, vous dites au téléphone le message que vous voulez passer, en respectant quelques menues règles. Toute la France peut les entendre, et votre très cher détenu aussi. Sauf si on lui avait confisqué sa radio, évidemment.

Je peux vous dire, puisque j’écoute régulièrement ces messages : ils se ressemblent tous. « Courage, mon chéri, je t’aime. Papa, tu nous manques, nous t’aimons. Reviens vite. » Et on entend dans les messages d’encouragement à quel point elle voudrait y croire. (Plus de 90% des détenus sont des hommes. Donc, plus de 90% des conjoints de détenu sont des femmes.) On entend, au contraire, à quel point elle n’en peut plus d’être séparée de sa moitié, à quel point les enfants sont désespérés de ne pas avoir leur papa à sa place, là où il devrait être.

Savez-vous la première cause de commettre un délit ? Le désespoir. Ça rend malade. Ça brouille le bon sens. Et comme de toute manière tout est égal puisqu’il n’y a pas de sortie de la merde, et que la souffrance fait mal, on cogne. On vole. On détruit. On commet peut-être même l’irréparable. Et ce qui est pervers : une fois que vous êtes criminel, on s’occupe de vous. Jusqu’au procès. Après, vous êtes un numéro, on vous tutoie, vous traite comme (je vous laisse imaginer).

Le système carcéral de notre pays crée le désespoir. Non seulement pour les détenus, que la sanction pénale est censée améliorer, mais qu’elle démolit d’avantage. Mais aussi pour leurs familles. Or, il n’est écrit nulle part qu’il faut punir une femme parce que l’homme qu’elle a épousé s’est rendu coupable. Il n’est écrit nulle part qu’il faut punir un enfant parce que son parent s’est rendu coupable. Et pourtant c’est ce qui se passe. Jour après jour.

Pourtant la France a bien cosigné la Convention des Droits de l’Enfant, dont l’article 7 stipule:

l L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit
à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible,
le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

Et dans l’article 9 :

3 l Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux
parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles
et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est
contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Cela concerne tout autant l’enfant d’un détenu.

Mais la réalité est une autre. Et il suffit d’ouvrir le poste radio, dimanche midi, sur RCF pour s’en rendre compte. Je me demande quel esprit règne dans le système juridico-carcéral pour que tant d’enfants soient privés de leurs pères, de la possibilité d’aller les voir au moins au parloir, de leur téléphoner.

Et si on pense plus loin, on peut se demander si l’incarcération pour des délits de moindre importance n’est pas tout simplement contraire à tout bon sens. La prison n’a encore jamais produit des modèles de civilité – sinon ça se saurait. N’y a-t-il pas tout d’abord des méthodes de prévention à créer, à commencer par la lutte contre la pauvreté et peut-être même avant cela par une éducation scolaire qui élève les enfants au lieu de les presser dans le rang ? Qui valorise chaque personne, indépendamment de ses résultats scolaires ? Qui respecte la diversité des opinions, la diversité des convictions, la diversité des fois, la diversité des origines ? Et qui à partir du respect dont elle fait preuve, apprend aux enfants de se respecter eux-mêmes, entre eux et de respecter les autres en général.

Donnez aux humains de l’estime et un cadre de vie décent, et vous n’aurez plus de délits de désespoir.

D’ailleurs, tout cela n’est pas forcément à penser sur fond religieux – c’est la conséquence logique de ces principes de la République, inscrits sur les frontons des mairies et, pourquoi pas, de beaucoup d’écoles primaires : Liberté, Égalité, Fraternité. 

Il y a du travail à accomplir pour que nous devenions libre, égaux en droits, fraternels entre nous et envers les autres. Et il n’y a pas une minute à perdre.

Les vivants seulement

La constitution de notre Église stipule qu’ « en aucun cas », le culte à l’occasion d’un décès « ne prendra la forme d’un panégyrique ». Ce qui n’a pas empêché des conseils presbytéraux et même des pasteurs de parler de « hommage » concernant les obsèques d’un de leurs proches.

La liturgie actuelle, dite « liturgie jaune », propose un déroulement du culte de consolation que je suis assez fidèlement, car je trouve que les commissions ont su trouver des mots simples et compréhensibles pour exprimer la douleur du deuil, et aussi pour aller plus loin que cette tombe ou ce four de crémation.

Mais parfois ça m’agace de devoir expliquer que « chez les Protestants », « on » ne bénit pas le corps, « on » ne s’adresse plus au défunt puisqu’il est déjà loin, que la photo sur le cercueil n’est pas la meilleure des idées.

Certes. Si vous avez déjà accompagné un mourant, vous savez que dès que la vie a quitté le corps, il est différent. Il semble que des scientifiques ont réussi à démontrer qu’il y a une différence de 2g. Deux grammes. Ça ne pèse pas bien lourd, notre personnalité… Et la tradition huguenote n’a pas tort d’avancer ce « aujourd’hui » que Jésus dit au larron crucifié à ses côtés : « aujourd’hui même tu seras avec moi au paradis ».

Il est louable de rappeler que l’Évangile s’adresse aux vivants. « Que les morts enterrent leurs morts », disait Jésus. En même temps, Paul a-t-il critiqué ces chrétiens corinthiens qui se sont fait baptiser pour les morts (1Cor 15,29) ? Pas du tout. Il les intègre dans son argumentation pour la foi en la résurrection des morts.

Non, je ne pense pas que nous ayons besoin de prier ardemment pour sauver notre cher défunt de l’enfer. C’est une affaire entre Jésus-Christ et lui, dans laquelle nous ne pouvons plus intervenir.

En même temps, je relève quelques points.

  1. Le deuil d’un proche n’est pas un deuil anonyme ou stérile. C’est une relation rompue avec une personne bien précise et unique. S’il n’y pas lieu de célébrer panégyrique ou hommage, il convient, à mon avis, de rappeler qui c’est qu’on pleure. De manière à pouvoir dire, « oui, c’est bien lui » (ou elle). Avec les forces et les faiblesses, dans la bienveillance. Pas question de « flanquer un dernier coup de pied au vieux », même si ça peut être le désir de l’un ou de l’autre. Pas question non plus de mentir ou de cacher ce que tout le monde sait, si c’est important pour la vie de la personne.
  2. De préférence, je sépare ce rappel du défunt de la prédication. C’est un élément dans le début du culte, de dire non seulement « N.N. est mort », mais de mettre des mots sur le deuil, en décrivant l’objet du deuil. En même temps, le défunt n’est pas sujet de la prédication, qui se veut porteuse de consolation et d’espérance. Si parfois la vie du défunt peut apporter des éléments à cette fin, tant mieux, mais ce qui est au centre c’est de toucher les vivants, les survivants à cette mort, c’est de parler d’eux et surtout à eux.
  3. La relation rompue n’est pas neutre. Elle comporte toujours des éléments de reconnaissance et gratitude, d’amour qui maintenant n’a plus d’adresse, mais aussi de remords et de reproches : des conflits non assumés qui maintenant ne peuvent plus être réglés. Si la liturgie jaune prévoit bien d’exprimer la reconnaissance et (à moindre degré) la gratitude, elle fait l’impasse sur le reste. J’intègre donc dans la prière la demande de pardon pour nos manquements, et de pouvoir pardonner là où nous aurions eu des reproches à faire. En d’autres mots, de pouvoir faire la paix au-dessus de la tombe. Cette demande s’adresse à Dieu, non pas au défunt.
  4. Si la doctrine insiste sur l’immédiateté de l’accueil du défunt dans les bras du Père Céleste, ce n’est pas évident à vivre pour ceux qui restent. Nous avons besoin de temps pour laisser partir. Et nous avons besoin aussi de gestes et rites. Parmi ces rites, la bénédiction du défunt. Certes, c’est une façon de dire « bonne route » à celui qui est déjà arrivé à destination, mais pour nous c’est un élément du deuil, du laisser-partir, du lacher-prise. C’est une des nombreuses manières aussi de dire à Dieu à quel point cette personne nous était chère et que nous souhaitons tout le bien du ciel pour elle. N’affirmons-nous pas par le baptême l’amour de Dieu pour cet enfant, alors que Dieu l’aime depuis avant même sa conception ? Pourquoi se montrer rigoriste à la fin du chemin, alors qu’au début on se veut large d’esprit ?

Ainsi, contrairement aux Églises protestantes d’autres pays européens, mais conformément à l’enseignement de mon Église, je ne pratique pas de bénédiction du corps, ni à la maison ni lors du culte. Mais en bénissant l’assemblée avec les mots du psaume 121, j’ouvre la possibilité d’entendre cette bénédiction non seulement pour les vivants, mais aussi pour le défunt. Si ça peut aider à faire le deuil, qu’est-ce qui s’y oppose ? Puisqu’il est possible même de recevoir le baptême pour un mort… au moins dans la Bible, car les liturgies d’Église excluent ce rite bien particulier.

Le service funéraire est un service pour ceux qui restent. « Ce sont ceux qui restent qui vont en enfer », dit Jacques Brel ; je ne dirais pas autant mais c’est sûr qu’ils passent là un temps infernal. Autant ne pas nous retirer derrière nos murs dogmatiques pour leur refuser ce qui peut les aider à voir le jour dans la nuit, tant que ce n’est pas en contradiction aux Écritures chrétiennes !

Crèches sous les chaumières ?

Tous les ans, c’est le même débat. Est-ce qu’une crèche a sa place sur la place publique, dans le hall d’entrée d’un bâtiment de service public ?

Le corbeau secoue un peu son plumage et remarque en plissant les yeux : il faudrait bien qu’elle soit municipale. Parce que les crèches municipales sont appréciées !

Le loup, quant à lui, préfère se moquer un peu de ces représentations folkloriques, parfois plus kitsch parfois du grand art. Les chaumières, aux toits de paille de préférence bien troués, pour lui n’ont rien à voir avec la réalité de Bethléem au temps de César Auguste.

Encore, le corbeau fait remarquer : La loi interdit d’aposer sur les bâtiments publics les symboles des cultes – des symboles tels que la croix ou de surcroît un crucifix, une étoile de David, un croissant de lune. Une croix huguenote. Il doit être clairement visible que le bâtiment public n’est assujeti à aucun culte, que la République n’est pas soumise à une domination religieuse quelle qu’elle soit.

Or, une crèche n’est pas un symbole. Une crêche, un arrangement de santons, c’est une mise en scène. Elle peut raconter une histoire, mais cette histoire comme toutes les histoires qui nous sont racontées, chacun est libre d’en penser ce qu’il veut. Qui s’offusquerait d’une mise en scène des contes de Grimm ou d’Andersen ? Des fables de La Fontaine ? Voilà, et une crèche n’est rien d’autre.

Là, vous vous étonnez peut-être que j’écris de tels propos. Vous êtes pasteur, tout de même !  Lire la suite « Crèches sous les chaumières ? »

Attestant. Attestants. Attestants ?

Les Attestants sont un mouvement à l’intérieur de l’Église Protestante Unie de France, reconnu par le Conseil National de cette Église, à vocation fédérative.

Si j’en écris ici, je parle uniquement en mon nom tout en étant membre du mouvement. Mes propos n’engagent pas les autres membres du mouvement, sauf s’ils s’y reconnaissent.

Les motivations des uns et des autres de rejoindre le mouvement sont diverses, et je n’en ai rien à redire (même si le corbeau, parfois, sent hérisser les plumes dans son dos pour certaines expressions qu’il rencontre – mais n’est-ce pas normal dans tous les mouvements ?). Par contre, je peux parler de ma motivation personnelle d’être membre du mouvement et de prendre part aux réflexions et évolutions.

L’Église Réformée de France dont l’Église Protestante Unie de France est héritière, a toujours prôné la diversité des théologies. Il n’y a pas de souci là-dessus : tant que tous s’y mettent avec le respect mutuel et aussi le questionnement au fond du coeur si peut-être ce n’est pas quand même l’autre qui est plus près de la vérité. Mais cette diversité et pluralité apporte une lourde charge, car dans les décisions synodales il faut également respecter tous les courants.

Alors qu’un courant dans notre Église s’est donné de grands moyens pour se faire connaître, entre autre par le mensuel « Évangile et Liberté » et des rencontres annuelles dans le style des Universités d’Été, et qu’en plus la majorité des enseignants de l’Institut Protestant de Théologie penchent vers ce courant, d’autres sensibilités sont beaucoup moins fédérés, ce qui laisse un sentiment de solitude, une amertume de ne plus être entendu – alors qu’on est loin d’être seul dans l’Église !

C’est pourquoi les Attestants sont nés.

Et si une collègue pasteur se dit « écoeurée par l’existence même de ce mouvement », c’est bien la preuve que dans l’Église qui prône la pluralité, il est important de donner la parole à plusieurs, et pas toujours qu’aux mêmes.

Pourquoi « Attestants » ?

En latin, « testes », ce sont les témoins. Ne me demandez pas comment on arrive de l’un à l’autre, je ne le sais pas. Peut-être par « testimonium », le témoignage. « tester » serait donc un autre mot pour « témoigner », et « a-tester » serait témoigner à ou vers quelqu’un. Les attestants se veulent donc être témoins. Pourquoi pas appeler le mouvement « les témoins » ? Je suppose que c’est pour ne pas monopoliser ce terme quand même central dans la conception de la vie du chrétien comme de l’Église – et notre Église se veut Église de témoins !

Le témoin n’est pas proclamateur. Il est facile de claironner ses vérités pour ensuite camper dessus : j’ai raison, et si vous n’êtes pas d’accord, vous avez tort. Le témoin doit répondre aux questions, il ne parle pas en son propre intérêt mais pour dire la vérité. Une vérité qu’il ne maîtrise pas mais qui s’est imposée à lui.

Être témoin, implique aussi l’existence d’autres points de vue. Il n’y a jamais qu’une seule vision des choses.

Quand j’étais jeune étudiant à Marbourg, on nous a appris la « discussion religieuse de Marbourg » (Marburger Religionsgespräch) de 1529. Les éminents représentants des deux courants réformateurs à l’époque, de Saxe et de Suisse, avaient été invités à se retrouver pour trouver une ligne commune, afin qu’il n’y ait pas division dans le mouvement évangélique.

Selon nos professeurs, cette rencontre s’est terminée en échec. En effet, alors que 14 points ont pu être traités sur un commun accord, c’était impossible pour le 15e : est-ce que le Christ est réellement présent sur l’autel ou la table de communion, en pain et vin ? Zwingli le niait farouchement : « il est auprès du Père, il ne peut pas être en même temps dans nos assiettes. » Luther, aussi farouchement, l’affirmait : « Dans les Écritures nous lisons ‘ceci EST mon corps », donc il y EST. »

Ils se sont séparés sur ce désaccord, mais avec une déclaration qui pour moi, loin d’être un échec, fait partie des plus belles qui aient été rédigées, et qui est mon leitmotiv dans les échanges théologiques :

Sur cette question nous n’avons pas trouvé de commun accord. Que donc chacun continue sur sa manière, tout en priant l’Esprit Saint de l’éclairer, et en portant les frères dans la prière.

(Évidemment – les humains sont des humains – des siècles durant de chaque côté ont été formulées d’ardentes prières demandant à l’Esprit Saint d’éclairer les autres…)

C’est dans cet esprit, et uniquement dans cet esprit, que nous pouvons être Église ensemble. Que ce soit dans la diversité des paroissiens locaux, des théologies à l’intérieur de l’EPUdF, dans la diversité des Églises participant au dialogue oecuménique : « Seigneur, fortifie mes frères et soeurs ; que ce qui nous distingue ne nous sépare pas, et si je suis dans l’erreur ramène-moi sur la bonne voie. »

Bénir. (2)

Nous avons vu, vendredi dernier, que la question du « qui » n’est pas facile à résoudre. Qui bénit, Dieu ou l’Église ou le pasteur ?
Aujourd’hui, voyons une autre facette du thème : l’objet de la bénédiction.
Qui ou quoi est béni ?

J’avais déjà mentionné que les protestants français aiment affirmer que « les protestants » ne bénissent que des hommes (sc. êtres humains), pas des objets. Et, de surcroît, que des hommes vivants. Je suppose que cette affirmation a deux sources, l’une dans l’histoire du protestantisme français qui cherche toujours à se distinguer des pratiques catholiques (c’est une identité négative : je suis protestant parce que je ne fais pas ce que font les catholiques), et l’autre en souvenir de plusieurs guerres où les soldats sont partis en combat avec des armes « bénies ». J’avais évoqué mon collègue thuringien, de confession luthérienne, qui avait béni la nouvelle ambulance de la caserne locale des pompiers. Ne connaissant pas les formulaires liturgiques pour de tels cas, je ne peux que supposer ce qui a été dit, mais j’imagine très fort que la bénédiction était plus ou moins sous la forme d’une prière qui demande à Dieu que ce véhicule serve à sauver des vies, et que de lui n’émane pas de danger pour autrui. Que ceux qui le conduisent ne causent pas d’accidents, et ne soient pas impliqués dans un accident par la faute d’autrui.
Et puis, chers amis, la liturgie protestante récite un passage d’1Corinthiens 10, disant (V.16) : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas une communion au sang du Christ ? »
La coupe que nous bénissons… eh bien, en bonne réflexion zwinglienne (Zwingli disait que le pain n’est que du pain, le vin que du vin et rien d’autre) je dois dire que la coupe est une coupe est une coupe. Un objet, non pas une personne humaine, et encore moins vivante.
Irions-nous jusqu’à affirmer qu’en réalité, nous ne bénissons pas la coupe mais le Christ qui nous l’a offerte ? N’y aurait-il pas confusion entre contenant et contenu, d’autant plus si nous disons avec Zwingli que cette coupe ne contient que du vin, du vin, du vin et rien d’autre ?

Qu’est-ce que nous bénissons ?

On nous dit « bénir n’est pas cautionner ». Cela se défend – mais jusqu’où, et devant qui ? Si en Alsace on dit « va avec ma bénédiction », c’est que donner sa bénédiction est une autre expression pour donner son accord. Dans la perception générale, donner sa bénédiction veut surtout dire donner son accord, déjà parce que d’autres aspects de la bénédiction ne sont plus connus.
Il est vrai que toute bénédiction, depuis les premières bénédictions relatées dans la Bible jusqu’à nos jours, bénit des hommes pécheurs. Le signe de Caïn, qui lui ouvre une vie malgré sa faute mortelle, est une bénédiction. Moïse et Aaron bénissent un peuple qui ne cesse de se révolter contre le Dieu dont vient la bénédiction.

Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste et nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. Si nous disons que nous ne sommes pas pécheurs, nous faisons de lui (Dieu) un menteur, et sa parole n’est pas en nous. (1Jn1,8-10)

Comment un aumônier pourrait-il prononcer la bénédiction divine sur un groupe de prisonniers condamnés pour meurtres, sinon par la conscience que Dieu bénit des pécheurs ? Ceci dit, la bénédiction de Dieu semble s’adresser aux pécheurs repentants, puisque ce qui est promis à ceux qui s’obstinent dans leur révolte contre lui, c’est « là où est pleurs et grincement des dents », « les ténèbres », bref : ce qu’on appelle populairement un enfer. Et donc le contraire de bénédiction.

Mais certains de mes collègues refuseraient de bénir l’union d’un couple dont l’un est militaire actif et – comme la règle le veut – porte donc l’uniforme même lors de son mariage. Pas d’uniforme dans « mon » temple.
Ils se justifient, je le raccourcis à l’extrême mais c’est le noyau : l’uniforme militaire est l’uniforme d’un tueur. La porter fièrement veut dire être fier d’être un tueur. Or, ce comportement-là n’a pas sa place dans un lieu de culte.

Eh bien. Malgré bon nombre de tentatives de lire la Bible en ce sens, qui ont valu beaucoup de répressions aux chrétiens du bloc communiste, la Bible n’est pas aussi affirmative. Elle fait une nette différence entre un meurtre et un homicide commis durant une guerre, tout comme elle fait une nette différence entre un meutre volontaire et un homicide accidentel – ce qui, 3000 ans après ces dispositions-là, n’est pas encore monnaie courante dans l’opinion publique… La Bible ne rejette pas le métier militaire. Jésus ne dit pas à l’officier romain « démissionne, et puis nous pourrons voir ce que je ferai pour ton esclave ». Il ne fustige pas les hommes d’armes du temple pour leur métier, il questionne seulement la violence gratuite de celui qui le gifle.

Mais que faire donc de la demande de bénédiction d’un groupe dont l’élément constitutif est ce que Dieu rejette, d’un groupe formé et constitué par ce qui selon le témoignage unanime de la Bible, est péché contre Dieu ?
Si durant la préparation d’une bénédiction de couple je me rends compte que ce couple ne se fonde pas sur l’amour mais sur une prise de pouvoir de l’un sur l’autre, sur un tas de mensonges, ou sur un autre fondement désapprouvé par Dieu, que donc la bénédiction de Dieu n’est pas sur ce couple – que ferai-je ? Dirai-je une parole de vérité, quitte à peut-être me prendre bien des paroles ou même des poings à la figure ? Utiliserai-je des moyens subtils pour leur faire remarquer le malfondé de leur couple ? Me traiterai-je d’hypocrite pour avoir jugé d’autrui, et dirai-je la bénédiction de Dieu sur ce couple malgré ma conviction intime qu’elle n’y est pas, et me ferai-je alors menteur ?
Et que dire d’autres groupes ? La pègre ne me demandera pas de bénir un de ses commandos, mais en même temps il est assez connu que les membres des grandes familles de la Mafia sont très religieuses…

Bénir. (1)

C’est – paraît-il – le thème synodal de l’Église Protestante Unie de France. La réflexion sur le sens de la bénédiction est pourtant l’arrière-plan sur lequel est débattue avant tout une tout autre question : une cérémonie de « mariage religieux » pour des couples de même sexe oui ou non ?
Les guillemets parce que selon la théologie majoritaire réformée en France, il n’y a pas de mariage religieux, juste bénédiction d’un couple déjà marié.
Ce qui, déjà, se discute et se dispute, même. Loin du sacrement de l’Église de Rome, bien des courants protestants (et encore plus de croyants, à vrai dire) voient en l’engagement pris solennellement devant Dieu un engagement bien plus important que celui pris devant le maire ou son représentant. Façon de voir, et qui se respecte. Au moins, cela veut dire prendre au sérieux le mariage et son caractère à durée indéterminée, de préférence usque ad mortem : jusqu’à ce que la mort y mette un terme. Que seul un couple sur deux y arrive, votre serviteur ne l’ignore point. Mais la façon de creuser de plus en plus l’institution du mariage vers un contrat facilement résiliable qu’on observe depuis une génération, est-elle la bonne réponse, ou ne faudrait-il pas entreprendre d’autres changements bien plus profonds pour le bien-être des concernés ?

Mais là n’est pas la question, pas pour aujourd’hui. Peut-être pour demain, qui sait. J’applaudis la réflexion sur le sens de la bénédiction. Elle est nécessaire, n’y a-t-il pas tendance à demander des bénédictions pour tout et n’importe quoi ?

En ce sens, l’Eglise célèbre des cultes et bénit les personnes à l’occasion d’événements importants qui marquent la vie: le 11 novembre, des obsèques, une « désalliance » (divorce), des noces d’or, des fiançailles, des confirmations, etc.. .
http://www.protestants.org/index.php?id=31268

Au fait, si mes chers collègues français affirment du fond du coeur que les protestants ne bénissent que des personnes, jamais des objets, je les renvoie vers mon ami d’études et collègue en Thuringe qui, aux dernières nouvelles, a béni la nouvelle ambulance des pompiers volontaires de son village. Sans que cela pose le moindre problème théologique : il y a des frilosités, et par conséquent des affirmations très affirmatives, qui n’appartiennent qu’au protestantisme francofrançais.
Revenons à notre sujet.

Dans Information-Évangélisation 1/2014, p.1, Laurent Schlumberger affirme :

Or, évangéliser c’est bénir.

Il a raison – mais l’inverse ne s’affirme pas. Si l’Évangélisation est une façon de porter la bénédiction de Dieu à autrui, bénir quelqu’un n’est pas forcément évangélisant, ni même évangélique (conforme à l’Évangile). Quoi que Raphaël Picon en dise (dans l’éditorial d’Évangile et Liberté 273 de novembre 2013, par exemple). Et encore, quand on le lit bien, Picon ne dit pas que chaque bonne parole (eulogia, gr. « bonne parole » et souvent traduit comme « bénédiction ») est vraiment évangélique, puisqu’il encadre, contrairement à Schlumberger, ce qu’il comprend par bénédiction.

D’ailleurs, la pratique de l’Église Protestante Unie est le malheureux témoin du fait que bénir à tout va n’a rien d’une évangélisation : les registres de bénédictions de couples, de baptisés (bénis à cette occasion) et de confirmés (bénis également) sont remplis de personnes qui en dehors de ces actes pastoraux vivent très bien sans se soucier de Dieu ou de son Église.

Mais cette affirmation du président du Conseil National, reprise de Raphaël Picon, suscite une autre question, à laquelle le double numéro d’Information-Évangélisation ne fait pas face :
nous savons très bien qui évangélise. Des humains. (Trop rarement des membres des Églises membres de l’Église Protestante Unie, d’ailleurs, qui se plaisent encore dans leur héritage de minoritaires, et ne veulent être sel et lumière qu’entre eux…) Des, quel mot horrible, missionnaires. Des porteurs de bonne nouvelle.
Mais dans la bénédiction liturgique, qui bénit ? Le pasteur ? L’Église (visible et constituée) ? Dieu ?
Information-Évangélisation ne s’en soucie pas, et met à niveau égal la bénédiction liturgique et le « je vous souhaite une bonne semaine » que le célébrant pourra dire à la porte du temple.
Or, Nombres 6 nous lisons :

Vous bénirez [le peuple en disant :] Que le Seigneur te bénisse et te garde… Ils apposeront ainsi mon nom sur [le peuple], et moi, je [le] bénirai.

La bénédiction des prêtres s’exprime en demande de bénédiction divine, et Dieu s’engage à bénir ceux que les prêtres ont bénis.
Il y a d’autres moments où Dieu s’engage de façon semblable, ainsi Jésus dit aux disciples : « à qui vous pardonnez les péchés, ils lui seront pardonnés ; à qui vous les gardez, ils lui seront gardés. » (Jn 20) Vu ainsi, nous pouvons effectivement pardonner qui nous voulons, bénir selon notre bon gré et quand et qui et que nous voulons, Dieu suivra. La bénédiction liturgique serait donc autant à la disposition du célébrant que le « bonne semaine ».
Sauf qu’elle prend Dieu en otage.
Reste à voir si Dieu se laissera faire éternellement.

Ne vous trompez pas : Dieu ne se laisse pas narguer, car ce que l’homme sème, il le récoltera. Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit [de Dieu, ndr] récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle.

À toute vraisemblance, il convient donc aux ministres d’Église de bien peser leurs paroles, de retenir non seulement leurs pas sur le chemin du temple (Qoh 4,17) mais aussi leurs langues avant toute prise de parole devant Dieu (Qoh 5,1).

La FPF a consacré une page à la question des couples homosexuels : http://www.protestants.org/index.php?id=33262

Quel esprit dans l’Église ?

Parfois, en écoutant mes braves protestants réformés, j’ai l’impression que pour eux, depuis la mort des apôtres il y avait une phase sinistre de 14 siècles, dans laquelle un certain Luther a peut-être apporté une petite lumière, mais le grand jour est arrivé avec Calvin et les Huguenots. Ce qui est aussi erroné, théologiquement parlant, que l’adoration et l’invocation à notre aide des Saints dans l’Église Romaine. Et le Calvinisme tend de tomber du cheval de l’autre côté, pour reprendre une expression du grand systématicien et œcuméniste alsacien André Birmelé. Non seulement parce que sa branche libérale beaucoup plus encore que le Calvinisme orthodoxe, penche vers le salut par les œuvres et – ça au moins on ne peut reprocher qu’aux libéraux – met le Christ avec toute son œuvre salutaire au placard. Mais aussi dans son refus catégorique de tout ce qui est fait, cru et dit dans le monde catholique romain.
Et l’ironie de l’histoire fait que Calvinisme et Catholicisme commettent, chacun à sa façon, une même erreur monumentale : ils oublient le Saint Esprit.
Les huguenots en parlent – parfois comme « cette chose qui nous vient de Dieu » ou dans des termes aussi flous et sans valeur – et à deux moments dans leur liturgie, dans une certaine tension illogique qui surprend notamment dans cette Église qui se veut aussi héritière du philosophe Zwingli qui ne pouvait souffrir aucune illogique théologique. La première évocation est au début du culte. Il est dit comme une certitude (et les Réformés sont pleins de certitudes, ils ne demandent pas la bénédiction divine, ils l’affirment…), « tu nous envoies ton Esprit Saint pour illuminer nos cœurs. » Ce qui n’empêche pas qu’un petit quart d’heure plus tard, ils demandent (pour une fois) que Dieu veuille bien daigner d’envoyer son Esprit Saint afin qu’il fasse de l’Écriture lue une parole vivante. Et ça se limite là. Pour ne pas froisser le collège unitarien, la liturgie évite toute formule trinitaire, il n’y a invocation directe ni du Christ ni de l’Esprit…
Reproche qu’on ne peut pas faire aux catholiques ! Mais…
c’est d’une toute autre façon qu’ils ont étouffé l’Esprit Saint : ils ont mis l’Église à sa place. Tout ce que le troisième article du Symbole Apostolique énumère comme effet de l’Esprit Saint, – et même au-delà ! – est absorbé par l’Église catholique : elle se croit identique à la communauté des saints, elle remet ou retient les péchés, elle donne accès à la vie éternelle. Juste pour la résurrection de la chair, elle ne s’avance pas trop, mais il est évident que la résurrection n’est promise qu’à ceux que l’Église catholique romaine sanctifie. Et elle se met aussi à la place du paraclet, de l’intercesseur promis par le Christ, qui intercède pour nous quand les mots nous manquent.
Un grand ironique a dit : Jésus a annoncé le Royaume de Dieu, et ce qui est arrivé c’est l’Église. Ne faut-il pas dire dans le même esprit : « Jésus a annoncé l’Esprit Saint, et ce qui est arrivé c’est l’Église » ?
Face à ce constat, il n’est pas surprenant que se sont formées des Églises dites pentecôtistes, qui mettent l’accent sur l’action de l’Esprit Saint dans la vie du croyant et de la communauté. Elles courent le risque, il est vrai, de trop accentuer cette facette de la vie chrétienne et de la théologie chrétienne, mais n’est-ce pas le risque permanent de tout théologien et de toute Église de trop se fixer sur un aspect au détriment d’autres ? Mais elles nous rappellent avant tout, à nous autres, de réintégrer l’action de l’Esprit Saint vivant et indomptable dans nos perspectives théologiques, et à sa juste place (!) dans nos visions d’Église. C’est l’Esprit et uniquement l’Esprit qui suscite la foi en nous ; c’est lui qui crée l’Église – mais on ne peut en aucun cas identifier l’Église à l’Esprit, ni au contraire l’instrumentaliser pour certaines fins liturgiques. Il suscite plein de charismes en nous, dont la parole prophétique et le parler en langues étrangères (d’anges?), mais sans qu’il nous soit permis d’en faire des critères de jugement sur la foi d’autrui, ni de nous y habituer en en faisant un automatisme lors de nos réunions de prière et de culte.