Les vivants seulement

La constitution de notre Église stipule qu’ « en aucun cas », le culte à l’occasion d’un décès « ne prendra la forme d’un panégyrique ». Ce qui n’a pas empêché des conseils presbytéraux et même des pasteurs de parler de « hommage » concernant les obsèques d’un de leurs proches.

La liturgie actuelle, dite « liturgie jaune », propose un déroulement du culte de consolation que je suis assez fidèlement, car je trouve que les commissions ont su trouver des mots simples et compréhensibles pour exprimer la douleur du deuil, et aussi pour aller plus loin que cette tombe ou ce four de crémation.

Mais parfois ça m’agace de devoir expliquer que « chez les Protestants », « on » ne bénit pas le corps, « on » ne s’adresse plus au défunt puisqu’il est déjà loin, que la photo sur le cercueil n’est pas la meilleure des idées.

Certes. Si vous avez déjà accompagné un mourant, vous savez que dès que la vie a quitté le corps, il est différent. Il semble que des scientifiques ont réussi à démontrer qu’il y a une différence de 2g. Deux grammes. Ça ne pèse pas bien lourd, notre personnalité… Et la tradition huguenote n’a pas tort d’avancer ce « aujourd’hui » que Jésus dit au larron crucifié à ses côtés : « aujourd’hui même tu seras avec moi au paradis ».

Il est louable de rappeler que l’Évangile s’adresse aux vivants. « Que les morts enterrent leurs morts », disait Jésus. En même temps, Paul a-t-il critiqué ces chrétiens corinthiens qui se sont fait baptiser pour les morts (1Cor 15,29) ? Pas du tout. Il les intègre dans son argumentation pour la foi en la résurrection des morts.

Non, je ne pense pas que nous ayons besoin de prier ardemment pour sauver notre cher défunt de l’enfer. C’est une affaire entre Jésus-Christ et lui, dans laquelle nous ne pouvons plus intervenir.

En même temps, je relève quelques points.

  1. Le deuil d’un proche n’est pas un deuil anonyme ou stérile. C’est une relation rompue avec une personne bien précise et unique. S’il n’y pas lieu de célébrer panégyrique ou hommage, il convient, à mon avis, de rappeler qui c’est qu’on pleure. De manière à pouvoir dire, « oui, c’est bien lui » (ou elle). Avec les forces et les faiblesses, dans la bienveillance. Pas question de « flanquer un dernier coup de pied au vieux », même si ça peut être le désir de l’un ou de l’autre. Pas question non plus de mentir ou de cacher ce que tout le monde sait, si c’est important pour la vie de la personne.
  2. De préférence, je sépare ce rappel du défunt de la prédication. C’est un élément dans le début du culte, de dire non seulement « N.N. est mort », mais de mettre des mots sur le deuil, en décrivant l’objet du deuil. En même temps, le défunt n’est pas sujet de la prédication, qui se veut porteuse de consolation et d’espérance. Si parfois la vie du défunt peut apporter des éléments à cette fin, tant mieux, mais ce qui est au centre c’est de toucher les vivants, les survivants à cette mort, c’est de parler d’eux et surtout à eux.
  3. La relation rompue n’est pas neutre. Elle comporte toujours des éléments de reconnaissance et gratitude, d’amour qui maintenant n’a plus d’adresse, mais aussi de remords et de reproches : des conflits non assumés qui maintenant ne peuvent plus être réglés. Si la liturgie jaune prévoit bien d’exprimer la reconnaissance et (à moindre degré) la gratitude, elle fait l’impasse sur le reste. J’intègre donc dans la prière la demande de pardon pour nos manquements, et de pouvoir pardonner là où nous aurions eu des reproches à faire. En d’autres mots, de pouvoir faire la paix au-dessus de la tombe. Cette demande s’adresse à Dieu, non pas au défunt.
  4. Si la doctrine insiste sur l’immédiateté de l’accueil du défunt dans les bras du Père Céleste, ce n’est pas évident à vivre pour ceux qui restent. Nous avons besoin de temps pour laisser partir. Et nous avons besoin aussi de gestes et rites. Parmi ces rites, la bénédiction du défunt. Certes, c’est une façon de dire « bonne route » à celui qui est déjà arrivé à destination, mais pour nous c’est un élément du deuil, du laisser-partir, du lacher-prise. C’est une des nombreuses manières aussi de dire à Dieu à quel point cette personne nous était chère et que nous souhaitons tout le bien du ciel pour elle. N’affirmons-nous pas par le baptême l’amour de Dieu pour cet enfant, alors que Dieu l’aime depuis avant même sa conception ? Pourquoi se montrer rigoriste à la fin du chemin, alors qu’au début on se veut large d’esprit ?

Ainsi, contrairement aux Églises protestantes d’autres pays européens, mais conformément à l’enseignement de mon Église, je ne pratique pas de bénédiction du corps, ni à la maison ni lors du culte. Mais en bénissant l’assemblée avec les mots du psaume 121, j’ouvre la possibilité d’entendre cette bénédiction non seulement pour les vivants, mais aussi pour le défunt. Si ça peut aider à faire le deuil, qu’est-ce qui s’y oppose ? Puisqu’il est possible même de recevoir le baptême pour un mort… au moins dans la Bible, car les liturgies d’Église excluent ce rite bien particulier.

Le service funéraire est un service pour ceux qui restent. « Ce sont ceux qui restent qui vont en enfer », dit Jacques Brel ; je ne dirais pas autant mais c’est sûr qu’ils passent là un temps infernal. Autant ne pas nous retirer derrière nos murs dogmatiques pour leur refuser ce qui peut les aider à voir le jour dans la nuit, tant que ce n’est pas en contradiction aux Écritures chrétiennes !

Bénir. (1)

C’est – paraît-il – le thème synodal de l’Église Protestante Unie de France. La réflexion sur le sens de la bénédiction est pourtant l’arrière-plan sur lequel est débattue avant tout une tout autre question : une cérémonie de « mariage religieux » pour des couples de même sexe oui ou non ?
Les guillemets parce que selon la théologie majoritaire réformée en France, il n’y a pas de mariage religieux, juste bénédiction d’un couple déjà marié.
Ce qui, déjà, se discute et se dispute, même. Loin du sacrement de l’Église de Rome, bien des courants protestants (et encore plus de croyants, à vrai dire) voient en l’engagement pris solennellement devant Dieu un engagement bien plus important que celui pris devant le maire ou son représentant. Façon de voir, et qui se respecte. Au moins, cela veut dire prendre au sérieux le mariage et son caractère à durée indéterminée, de préférence usque ad mortem : jusqu’à ce que la mort y mette un terme. Que seul un couple sur deux y arrive, votre serviteur ne l’ignore point. Mais la façon de creuser de plus en plus l’institution du mariage vers un contrat facilement résiliable qu’on observe depuis une génération, est-elle la bonne réponse, ou ne faudrait-il pas entreprendre d’autres changements bien plus profonds pour le bien-être des concernés ?

Mais là n’est pas la question, pas pour aujourd’hui. Peut-être pour demain, qui sait. J’applaudis la réflexion sur le sens de la bénédiction. Elle est nécessaire, n’y a-t-il pas tendance à demander des bénédictions pour tout et n’importe quoi ?

En ce sens, l’Eglise célèbre des cultes et bénit les personnes à l’occasion d’événements importants qui marquent la vie: le 11 novembre, des obsèques, une « désalliance » (divorce), des noces d’or, des fiançailles, des confirmations, etc.. .
http://www.protestants.org/index.php?id=31268

Au fait, si mes chers collègues français affirment du fond du coeur que les protestants ne bénissent que des personnes, jamais des objets, je les renvoie vers mon ami d’études et collègue en Thuringe qui, aux dernières nouvelles, a béni la nouvelle ambulance des pompiers volontaires de son village. Sans que cela pose le moindre problème théologique : il y a des frilosités, et par conséquent des affirmations très affirmatives, qui n’appartiennent qu’au protestantisme francofrançais.
Revenons à notre sujet.

Dans Information-Évangélisation 1/2014, p.1, Laurent Schlumberger affirme :

Or, évangéliser c’est bénir.

Il a raison – mais l’inverse ne s’affirme pas. Si l’Évangélisation est une façon de porter la bénédiction de Dieu à autrui, bénir quelqu’un n’est pas forcément évangélisant, ni même évangélique (conforme à l’Évangile). Quoi que Raphaël Picon en dise (dans l’éditorial d’Évangile et Liberté 273 de novembre 2013, par exemple). Et encore, quand on le lit bien, Picon ne dit pas que chaque bonne parole (eulogia, gr. « bonne parole » et souvent traduit comme « bénédiction ») est vraiment évangélique, puisqu’il encadre, contrairement à Schlumberger, ce qu’il comprend par bénédiction.

D’ailleurs, la pratique de l’Église Protestante Unie est le malheureux témoin du fait que bénir à tout va n’a rien d’une évangélisation : les registres de bénédictions de couples, de baptisés (bénis à cette occasion) et de confirmés (bénis également) sont remplis de personnes qui en dehors de ces actes pastoraux vivent très bien sans se soucier de Dieu ou de son Église.

Mais cette affirmation du président du Conseil National, reprise de Raphaël Picon, suscite une autre question, à laquelle le double numéro d’Information-Évangélisation ne fait pas face :
nous savons très bien qui évangélise. Des humains. (Trop rarement des membres des Églises membres de l’Église Protestante Unie, d’ailleurs, qui se plaisent encore dans leur héritage de minoritaires, et ne veulent être sel et lumière qu’entre eux…) Des, quel mot horrible, missionnaires. Des porteurs de bonne nouvelle.
Mais dans la bénédiction liturgique, qui bénit ? Le pasteur ? L’Église (visible et constituée) ? Dieu ?
Information-Évangélisation ne s’en soucie pas, et met à niveau égal la bénédiction liturgique et le « je vous souhaite une bonne semaine » que le célébrant pourra dire à la porte du temple.
Or, Nombres 6 nous lisons :

Vous bénirez [le peuple en disant :] Que le Seigneur te bénisse et te garde… Ils apposeront ainsi mon nom sur [le peuple], et moi, je [le] bénirai.

La bénédiction des prêtres s’exprime en demande de bénédiction divine, et Dieu s’engage à bénir ceux que les prêtres ont bénis.
Il y a d’autres moments où Dieu s’engage de façon semblable, ainsi Jésus dit aux disciples : « à qui vous pardonnez les péchés, ils lui seront pardonnés ; à qui vous les gardez, ils lui seront gardés. » (Jn 20) Vu ainsi, nous pouvons effectivement pardonner qui nous voulons, bénir selon notre bon gré et quand et qui et que nous voulons, Dieu suivra. La bénédiction liturgique serait donc autant à la disposition du célébrant que le « bonne semaine ».
Sauf qu’elle prend Dieu en otage.
Reste à voir si Dieu se laissera faire éternellement.

Ne vous trompez pas : Dieu ne se laisse pas narguer, car ce que l’homme sème, il le récoltera. Celui qui sème pour sa propre chair récoltera ce que produit la chair : la corruption. Celui qui sème pour l’Esprit [de Dieu, ndr] récoltera ce que produit l’Esprit : la vie éternelle.

À toute vraisemblance, il convient donc aux ministres d’Église de bien peser leurs paroles, de retenir non seulement leurs pas sur le chemin du temple (Qoh 4,17) mais aussi leurs langues avant toute prise de parole devant Dieu (Qoh 5,1).

La FPF a consacré une page à la question des couples homosexuels : http://www.protestants.org/index.php?id=33262

Quel esprit dans l’Église ?

Parfois, en écoutant mes braves protestants réformés, j’ai l’impression que pour eux, depuis la mort des apôtres il y avait une phase sinistre de 14 siècles, dans laquelle un certain Luther a peut-être apporté une petite lumière, mais le grand jour est arrivé avec Calvin et les Huguenots. Ce qui est aussi erroné, théologiquement parlant, que l’adoration et l’invocation à notre aide des Saints dans l’Église Romaine. Et le Calvinisme tend de tomber du cheval de l’autre côté, pour reprendre une expression du grand systématicien et œcuméniste alsacien André Birmelé. Non seulement parce que sa branche libérale beaucoup plus encore que le Calvinisme orthodoxe, penche vers le salut par les œuvres et – ça au moins on ne peut reprocher qu’aux libéraux – met le Christ avec toute son œuvre salutaire au placard. Mais aussi dans son refus catégorique de tout ce qui est fait, cru et dit dans le monde catholique romain.
Et l’ironie de l’histoire fait que Calvinisme et Catholicisme commettent, chacun à sa façon, une même erreur monumentale : ils oublient le Saint Esprit.
Les huguenots en parlent – parfois comme « cette chose qui nous vient de Dieu » ou dans des termes aussi flous et sans valeur – et à deux moments dans leur liturgie, dans une certaine tension illogique qui surprend notamment dans cette Église qui se veut aussi héritière du philosophe Zwingli qui ne pouvait souffrir aucune illogique théologique. La première évocation est au début du culte. Il est dit comme une certitude (et les Réformés sont pleins de certitudes, ils ne demandent pas la bénédiction divine, ils l’affirment…), « tu nous envoies ton Esprit Saint pour illuminer nos cœurs. » Ce qui n’empêche pas qu’un petit quart d’heure plus tard, ils demandent (pour une fois) que Dieu veuille bien daigner d’envoyer son Esprit Saint afin qu’il fasse de l’Écriture lue une parole vivante. Et ça se limite là. Pour ne pas froisser le collège unitarien, la liturgie évite toute formule trinitaire, il n’y a invocation directe ni du Christ ni de l’Esprit…
Reproche qu’on ne peut pas faire aux catholiques ! Mais…
c’est d’une toute autre façon qu’ils ont étouffé l’Esprit Saint : ils ont mis l’Église à sa place. Tout ce que le troisième article du Symbole Apostolique énumère comme effet de l’Esprit Saint, – et même au-delà ! – est absorbé par l’Église catholique : elle se croit identique à la communauté des saints, elle remet ou retient les péchés, elle donne accès à la vie éternelle. Juste pour la résurrection de la chair, elle ne s’avance pas trop, mais il est évident que la résurrection n’est promise qu’à ceux que l’Église catholique romaine sanctifie. Et elle se met aussi à la place du paraclet, de l’intercesseur promis par le Christ, qui intercède pour nous quand les mots nous manquent.
Un grand ironique a dit : Jésus a annoncé le Royaume de Dieu, et ce qui est arrivé c’est l’Église. Ne faut-il pas dire dans le même esprit : « Jésus a annoncé l’Esprit Saint, et ce qui est arrivé c’est l’Église » ?
Face à ce constat, il n’est pas surprenant que se sont formées des Églises dites pentecôtistes, qui mettent l’accent sur l’action de l’Esprit Saint dans la vie du croyant et de la communauté. Elles courent le risque, il est vrai, de trop accentuer cette facette de la vie chrétienne et de la théologie chrétienne, mais n’est-ce pas le risque permanent de tout théologien et de toute Église de trop se fixer sur un aspect au détriment d’autres ? Mais elles nous rappellent avant tout, à nous autres, de réintégrer l’action de l’Esprit Saint vivant et indomptable dans nos perspectives théologiques, et à sa juste place (!) dans nos visions d’Église. C’est l’Esprit et uniquement l’Esprit qui suscite la foi en nous ; c’est lui qui crée l’Église – mais on ne peut en aucun cas identifier l’Église à l’Esprit, ni au contraire l’instrumentaliser pour certaines fins liturgiques. Il suscite plein de charismes en nous, dont la parole prophétique et le parler en langues étrangères (d’anges?), mais sans qu’il nous soit permis d’en faire des critères de jugement sur la foi d’autrui, ni de nous y habituer en en faisant un automatisme lors de nos réunions de prière et de culte.

des symboles creux

L’autre jour, j’étais à un enterrement à l’église. À la fin de la cérémonie, toute l’assistance – sauf moi et deux, trois autres protestants – défila au cercueil, et la plupart des gens prit le petit « balai » d’eau bénite et fit un geste. Ce geste devrait être un signe de croix, comme pour rappeler le baptême du défunt, mais certainemen aussi en lien avec le « signe de Caïn » (Gen.4,15: « L’Éternel mit sur Caïn un signe, afin que quiconque le rencontrerait ne le tuât point. »).
La tradition huguenote ne s’y retrouve pas du tout, mais les luthériens sont beaucoup plus ouverts à ce qui est de rites, gestes et symboles portant du sens. Je n’ai aucun reproche contre le signe de croix, ni dans la pratique personnelle et encore moins dans la pratique cultuelle du pasteur. Car il peut être un reconfort considérable pour une âme en souffrance de se savoir signée de la croix, du signe d’appartenance au Christ. « Je t’ai appelé par ton nom, tu m’appartiens à moi », dit Dieu par le prophète Ésaïe (43,1), et quelques versets plus loin (7), ce « ton nom » devient « ceux qui portent mon nom ». Le Nouveau Testament parle du Sceau du Baptême, du Signe du Baptême, et la bénédiction au nom du Dieu trois-en-un, avec le Signe du Christ, est à chaque fois confirmation du baptême.
D’un autre côté, je suis convaincu que celui qui est décédé a quitté notre monde au moment de sa mort. Il est immédiatement hors de nos dimensions, hors de notre temps. C’est ainsi que je comprends la tension entre la résurrection annoncée pour la fin des temps et la parole au larron, « aujourd’hui tu seras avec moi au paradis ». Mais faire un geste pour le défunt, pour le confier une dernière fois à Dieu, même à postériori, peut avoir un sens de consolation pour les personnes endeuillées, et je m’abstiendrai de toute condamnation de ce geste comme « magie » ou ce qu’on peut parfois entendre dans les milieux parpaillots.
Par contre, si le signe de la croix avec ce balai d’eau bénite devrait être constitué de quatre mouvements, marquant les quatre extrémités de la croix : haut, bas, gauche, droite (ou droite, gauche), rares étaient les personnes à la réaliser ainsi. À quelques exceptions près, ils arrivaient bien à faire quatre points, mais entre les x (une croix de Saint-André ?), les arc-en-ciel, les triangle-plus-centre et les n’importe-comment, le faisceau était large. Sur les 500 personnes présentes, il n’y avait pas 50 qui savaient faire une croix.
Le symbole voulait-il encore dire quelque chose pour eux ? Ou était-il devenu un rituel insensé pour eux, mais qu’on fait parce que des générations avant eux l’ont fait également ?

Dans un monastère oriental, le père abbé avait, il y a très longtemps, un petit chat. Ce petit chat le suivait partout, et dérangeait souvent la prière de l’abbé et de la communauté par ses quêtes de caresses. L’abbé ordonna donc qu’avant la prière, le chat soit attaché devant l’église.
Quand le petit chat était mort, un autre chat vint partager la cellule de l’abbé, et lui aussi se faisait attacher devant l’église. Quand l’abbé mourut, les moines continuèrent cette coutume, et étaient bientôt convaincus qu’il était impossible de prier Dieu si un chat n’était attaché devant l’église.

Je me souviens d’une brave bretonne que je rencontrais dans une petite église de village. Quand j’entrai, elle était juste en train de passer la serpillière dans l’église, de droite à gauche et de gauche à droite. Et à chaque passage devant l’autel, elle fit rapidement – et d’ailleurs très adroitement et habilement – une légère tournure vers l’autel, un début de genouflexion et un signe de croix, le tout en moins d’une seconde tout en continuant le mouvement deserpillière. Or, comme dit, je suis le dernier à condamner une personne qui salue le Christ, présent selon la foi catholique matériellement en forme des hosties dans le tabernacle. Au contraire, je trouverais bizarre de la savoir là et ne pas le saluer dans cette maison qui est la sienne.
Mais supposons que cette brave dame fait également le ménage chez Monsieur le Curé, pendant que l’ecclésiaste est à son bureau. Est-ce qu’elle dira « bonjour, M. le Curé » en arrivant et fera son travail – ou est-ce qu’elle s’incline devant lui à chaque fois qu’elle passe devant son bureau ? Ou, poussant le bouchon (et les honneurs) un peu plus loin, si elle passe la serpillière dans le bureau épiscopal, va-t-elle embrasser l’anneau de l’évêque à chaque passage ? Ne se limiterait-elle pas, là, à une seule salutation mais celle-là de coeur ?

Je pense qu’un symbole, un geste symbolique qui n’a pas de sens pour celui qui le fait ne peut pas parler pour celui qui le reçoit, à quelques exceptions près. Ces exceptions, ce sont notamment les sacrements. Mais ils portent du sens pour celui qui les reçoit seulement parce qu’autour d’eux, existe une catéchèse très riche et développée, à commencer par l’institution par le Christ récitée avant l’acte, qui seule donne sens à l’acte sans la conviction de l’acteur et permet d’affirmer pleinement que « les sacrements et la Parole sont efficaces à cause de la disposition et de l’ordre du Christ, même s’ils sont présentés par l’entremise des méchants ». (Confession d’Augsbourg, article VIII [en latin])

Je plaide donc pour l’usage de bien des signes et symboles, dont notre époque symboliste a besoin pour comprendre parfois plus que de la parole, à condition que ces signes et symboles parlent clairement, au moins pour ceux qui les font. Un geste symbolique exécuté avec conviction par quelqu’un qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait, parlera à un observateur qui n’en sait rien.
Par contre, je plaide vigoureusement la sobriété de signes et symboles vidés de leur sens. Un symbole fait sans conviction, sans connaissance du sens du signe, est un non-sens. C’est insensé, idiot, et au lieu de porter un message, le geste insensé occulte le message.
Comme le juif dans la blague (prétendue juive mais en fait légèrement antisémite) qui scie le bout d’échappement de sa nouvelle voiture, en faisant allusion à la circumcision. Ça n’a pas de sens, à moins de prétendre que la voiture soit son fils, qu’elle soit mâle dans sa maisonnée et qu’il veuille ainsi l’inscrire dans la descendance d’Abraham, Isaac et Jacob.
On peut se demander si le « baptême républicain » n’est pas aussi une façon de singer le baptême chrétien, sans en comprendre tant peu que soit de son sens. Mais là encore, ce serait pour une autre fois.